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[Une aube qui durerait depuis six jours...]

Pneumatique daté du 26 décembre 1935

Author

Author André Breton
People cited Aube Breton, épouse Elléouët, Sylvain Itkine, Dora Maar, Jacques Prévert, Otto Rank, Georges Bataille, Salvador Dalí, Paul Éluard, Max Ernst, Alfred Jarry, Yves Tanguy
Letter to Jacqueline Lamba, Jeannette Tanguy

Description

Pneumatique d'André Breton à Jacqueline Lamba du 26 décembre 1935.

 

Transcription

Jeudi 26 décembre 1935

9 heures du soir.

Mon grand Amour,

une aube qui durerait depuis six jours, quel jour est-ce que cela présagerait bien ? Ils m'ont laissé seul pour dîner – ils, c'étaient Paul, Yves et Jeannette, puis Trigonis mais réunis, à vrai dire, involontairement, autour d'Itkine qui parlait de donner à partir du 2 mars au grenier des Augustins ses représentations d' « Ubu Enchaîné » (je crois, d'ailleurs, que tu ne connais pas cette pièce) et il fallait prendre diverses dispositions pour le bulletin de souscription, le programme, etc. C'est la première fois que cette œuvre serait représentée et ceci est d'une grande importance, vu son actualité toute particulière (contre le stalinisme, le front populaire, etc., etc.) Max Ernst ferait les décors et je dirais quelques mots préalables si Prévert, comme j'ai proposé, n'acceptait pas de les dire à ma place (question de ton, il me semble que Jarry serait plus content comme cela). Ce projet va certainement se réaliser. Par exemple, je crains que Trigonis, qui avait sûrement à me parler d'autre chose, et qui ignore Jarry, ne se soit beaucoup ennuyé... Ils sonnent sans interruption, décidément, ils passent de petits mots sous la porte : tout à l'heure, c'était Bataille, maintenant c'est Dora – tant pis je n'ai pas ouvert et Dora, c'était de ta part mais je voulais être un peu seul avec toi. Ma Beauté, je t'ai trouvée un peu inquiète ce matin et j'étais triste depuis deux jours de ne pas mieux avoir su marquer ma joie, mon émerveillement de tout ce qui m'arrive : soi[sic] toujours comme lorsque je t'ai vue pour la première fois, comme lorsque je t'ai parlé pour la première fois, comme je t'ai retrouvée au milieu de la nuit du Tournesol et depuis tant de fois, comme tu es la vérité sortant du puits de mon inconscience même si cette image est vulgaire, comme tu es toute ma vie devant moi, jamais rien derrière, mon grand marais salant de jeux et de pleurs de joie. Je n'ai rien su dire, l'homme est pauvre, je regarde avec un attendrissement du côté des sauvages qui auraient dansé, qui auraient été métalliquement beaux à cet instant moi j'ai du prendre des airs plus ou moins dignes ou que je croyais tels, qui ne m'allaient heureusement pas du tout (l'idée du « père »). Pardon, mais j'étais bien ému, tu sais, bien troublé au fond. T'en es-tu doutée ? Il fallait aussi que cela ne prît pas pour s'extérioriser les grandes formes de la faiblesse comme tu n'as que trop vu dans la nuit de jeudi dernier. J'éprouve une peine terrible à te quitter, cette peine commence même avant que je ne te quitte, bien avant, parce que tu as les yeux plus grands que d'ordinaire en ce moment et que c'est pure folie de m'en aller (ce serait d'ailleurs pure folie de rester), qu'il me semble que tu as un peu plus besoin de moi. Je ne veux pas continuer sur ce mode délirant mais je me penche aussi sur mais je me penche aussi sur Aube, « ma petite fille » comme je me suis surpris à écrire tantôt à Mlle Adleur par la pensée de ce soir et c'est comme si on me donnait la vie à comprendre d'un seul coup, comme si on me disait tout cela est très très bien, tu as parlé d'interpréter le monde, tu as parlé de le transformer. Pour la transformation (opération la plus difficile), on ne saurait avoir fait mieux. Reparlons de l'interprétation maintenant. Et tout ce que j'ai pensé, senti, essayé de prophétiser, même, y va de sa plus belle sarabande au clair de lune. Tout m'est donné, tout commence avec toi et tout m'est donné, tout commence avec toi et par toi. Quelque chose se déroule de moi qui me dépasse, qui n'a plus de fin puisque ma volonté, comme j'ai cru si longtemps qu'elle devait l'être, n'a pas été cette fin, puisque l'amour en a décidé autrement et rit du bon tour par cette bouche en miniature sur laquelle on commence à épier le rire, par cette bouche qui rira, qui sera belle et qui un jour sera tentante comme la tienne l'est pour moi. Tout ce que tu m'as dit de cette présence auprès de toi, avant que je ne puisse en être témoin me repasse par l'esprit et m'aide. C'était si beau, si ressemblant. Cela calme, apaise la nuée d'interrogations qui ne cesse guère de graver sur le sable de toujours, où elles s'efforçaient naguère pour moi immédiatement, les dates surprenantes 1936, 1937, 1938, 1939... 1950. Cette enfant, que je dois te paraître regarder à peine, est photographiée dans mes yeux sous plusieurs attitudes. Elle est, à travers la toute transparence de mon amour pour toi, la réalisation parfaite de mon désir. Elle est le cheveu de Vénus dans ce cristal.

Ma Jacqueline, je veux être un peu plus léger. Je suis allé me commander un beau costume qui sera prêt mardi, qu'on viendra m'essayer à domicile (la grande question). Il faudra qu'un jour j'essaie de tirer au clair cette question de mes rapports toujours pathétiques avec les tailleurs. Tu sais que je les tiens pour responsables de ma récente maladie. Aujourd'hui ce ce ne doit tout de même pas être par hasard que j'ai oublié sur le comptoir où je m'étais débarrassé de tout ce qu'il ne fallait plus l'ouvrage de Rank que Dali venait de me prêter : « Le traumatisme de la naissance » (ce même livre dont il avait été question à Montfort et dont Paul t'avait déconseillé la lecture pour quelques mois). S'habiller, se déshabiller de la vie est-ce quelqu chose de ce côté ? Je ne sais. Toujours est-il que voici le tissu qu'en l'honneur de toi et qu'en l'honneur d'Aube j'ai choisi. Vous plaît-il ?

Il est tard. Tout le monde dort, respire et rêve dans mon cœur. Six biberons, fort heureusement, au lieu de sept. À cinq heures demain matin, je me glisserai sur la pointe des pieds entre vous.

Je baise tes lèvres de toute mon âme, par dessous le petit « étincelant ».

André

L'œuvre d'Otto Rank évoquée est _Le Traumatisme de la Naissance_ :

Creation date26/12/1935
Postmarked date26/12/1935
Destination address
Bibliographical material

1 feuille in-4°, enveloppe conservée, avec un texte sur l'enveloppe.

LanguagesFrench
Place of origin
Library

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : Ms Ms 41363_16

Method of acquisition and collectionDon Aube et Oona Elléouët à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, Paris, 2003
Number of pages2
Copyright© Aube Breton, 2018
Reference19004918
Keywords,
CategoriesCorrespondence, Letters from André Breton
Set[Correspondance] Lettres à Aube
Permanent linkhttps://cms.andrebreton.fr/en/work/56600101000056
Place of origin
Place of destination

See also

2 Works
 
False

[Behind Marcel Duchamp's lapidary window...]

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André Breton

-

Note from André Breton, undated, addressed to Jacqueline Lamba.

An image, a descriptive note, a transcription, a library, links.

[Correspondance] Lettres à Aube

False

Ubu Enchaîné

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Alfred Jarry

-

Programme édité pour la représentation d'Ubu enchaîné du 22 au 26 septembre 1937 à la Comédie des Champs-Élysées à Paris. José Pierre le reprendra dans ses Tracts en 1980.

Deux images, une notice descriptive, une série, une bibliographie, une exposition, un lien.

Tracts surréalistes et déclarations collectives