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Lettre datée du 7 février 1925
Auteur
Auteur André BretonPersonnes citées Louis Aragon, Jacques-André Boiffard, Pierre Naville, Gérard Rosenthal, dit parfois Francis Gérard, Antonin Artaud, Robert DesnosDestinataire Simone Kahn, ép. Breton puis Collinet
Descriptif
Lettre d'André Breton à Simone Kahn, datée du 7 février 1925.
Transcription
Samedi 7 février 1925
Bonjour, bonjour. C’est toi qui es gentille, moi je ne suis pas intéressant.
Et voilà mon cher petit tout fâché.
J’ai reçu ta lettre du 4 février et je vais être bien sage d’ici demain pour en avoir une autre.
Il ne se passe rien, sauf qu’a paru l’article d’Aragon dans La Revue européenne, mais sans le portrait ; bien entendu, et compris parmi les notes. Tout à l’heure, à Cyrano, à la suite d’une gaffe de M. Gérard qui n’est bon qu’à cela, et en l’absence d’Aragon, j’ai dû dire à Desnos que son nom était cité en mauvaise part dans cet article ; je ne pouvais faire autrement sans grande hypocrisie. Il est entré dans une violente colère.
Le manifeste est encore remis à lundi, jour du retour d’Artaud. En l’absence de celui-ci rien ne s’est fait à la Centrale ni ailleurs.
Chose étrange (mais je ne le dis qu’à toi) je ne suis plus aussi enthousiaste qu’au début sur le caractère de l’action que La R.S. se propose de mener. Par une de ces volte-face qui ne me sont que trop coutumières, il m’a suffi de lire l’article d’Éluard contre la colonisation, d’apprendre les projets d’Aragon, article contre la civilisation latine, les monuments aux morts, etc., pour être frappé du grand risque de vulgarisation à courir. Il n’est pas jusqu’à cette défense de l’Orient qui ne demanderait infiniment de tact et de doigté pour ne pas tomber dans le romain‑rollandisme dont M. Naville profite de l’occasion pour se faire le propagateur. Enfin cette tentative désespérée d’objectivation ne va-t‑elle pas aller à l’encontre de ce que quelques-uns d’entre nous ont à dire de purement humain et que nul ne peut dire à leur place ? Tout cela est bien difficile à équilibrer. Mais, à part moi, dès maintenant, je fais mes réserves…
Qu’est-ce que peut bien me faire la question bolcheviste ou la question juive les jours en somme si nombreux où je me sens à peine le temps de vivre, où je suis à peine capable de vivre ? J’aimerais mieux apprendre à vivre que de collaborer à toutes ces feuilles dans lesquelles mon nom me fait à certains moments l’effet d’une mauvaise plaisanterie, car je ne suis guère qualifié pour parler de rien, ni moi ni les autres, d’ailleurs. Arriverai-je seulement à faire un jour autorité en moi ? Cette « Révolution » même, je la perds aujourd’hui de vue. Qui sait si la Liberté est bien la fin dernière ? Je ne vois ce soir qu’un grand remous, que l’idée même de la liberté n’éclaire pas. Il doit y avoir quelque chose d’immense qui nous échappe.
Boiffard est venu me voir hier soir, entre deux séjours à Épernon.
Ne te fatigue pas trop, chère petite Simone. Il faudrait voir si en te reposant deux après-midi consécutives ta température ne baisse pas.
Au revoir, mon aimée chérie. Chouka a été au Bois tout l’après-midi avec Claire.
Cette fois, ce sont des caresses.
André
Bibliographie
André Breton, Lettres à Simone Kahn, ed. Jean-Michel Goutier, coll. « Blanche », Gallimard, Paris, 2016, p. 237-238.
Librairie Gallimard
Date de création | 07/02/1925 |
Date du cachet de la Poste | 09/02/1925 |
Adresse de destination | |
Langues | français |
Crédit | © Successions André Breton, Simone Kahn et éditions Gallimard |
Mots-clés | correspondance, lettre, revue, revue "la révolution surréaliste" |
Catégories | Correspondance, Lettres d'André Breton |
Série | [Correspondance] Lettres à Simone Kahn |
Lien permanent | https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600101001877 |