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[Pardonnez‑moi...]

Lettre datée du 22 août 1923

Correspondance

Auteur

Auteur André Breton
Personnes citées Louis Aragon, Benjamin Crémieux, Giorgio De Chirico, Simone Kahn, ép. Breton puis Collinet, Sacher Masoch, Philippe Soupault
Destinataire Jacques Doucet

Descriptif

Lettre d'André Breton à Jacques Doucet, envoyée de Lorient le 22 août 1923.

Transcription

Lorient le 22 août 1923

Bien cher Monsieur,
pardonnez‑moi d’avoir mis quelques jours à vous écrire ; à peine arrivés à Lorient Simone et moi nous sommes allés passer quelques jours au bord de la mer, à plusieurs kilomètres de toute poste, ce qui est à peine croyable, et les conditions matérielles dans lesquelles nous nous trouvions n’étaient pas faites pour me rassurer sur l’agrément de notre séjour. Enfin nous rentrons à Lorient où j’ai le grand plaisir de trouver votre lettre, en même temps qu’une lettre d’Aragon qui n’a pas l’air de supporter ses vacances mieux que moi. Je vous remercie, Monsieur, de vouloir bien vous enquérir si aimablement de la santé de ma femme. Elle se porte un peu mieux depuis quelques jours et est heureuse de vous l’écrire elle‑même. Moi, je me remets un peu plus lentement ; vous savez, Monsieur, que ces questions de santé qui tiennent malheureusement un peu trop de place dans ma vie, et qui ne laissent pas de devenir angoissantes ces derniers temps, m’ont seules déterminé à quitter Paris et qu’à la première amélioration sensible je ne m’attarderai pas en Bretagne. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient je resterai encore une quinzaine de jours loin de vous.
Je me suis sans doute mal expliqué au sujet des ouvrages de Sacher Masoch actuellement en librairie. Je crois bien vous avoir dit, dans la lettre que je vous ai adressée le jour de mon départ, que La Vénus aux fourrures, au demeurant l’ouvrage capital de Masoch, était épuisé. Il s’agit d’un livre édité à 45 F vers 1910 je crois, par la librairie franco‑anglaise de la rue de Châteaudun. C’est à cette librairie que je m’étais adressé pour l’avoir et il a été impossible de m’en trouver un exemplaire. Toutefois on m’avait dit rue de Châteaudun que l’Édition, rue de Furstenberg , pourrait peut‑ être le fournir. Dans la négative, il n’y a plus qu’à chercher le livre chez les bouquinistes.
Je suis bien en peine, cher Monsieur, de vous entretenir d’une curiosité locale, ce pays est décidément le plus dénué du monde. Et vous savez que je réfléchis plus que je n’observe. Je termine mon livre de poèmes que je désire faire paraître en même temps que « les Pas perdus », afin de ne pas passer pour un essayiste ou un critique. Je compte l’éditer moi‑même afin d’assurer sa bonne présentation. Il paraîtra sans doute en octobre sous le titre « Clair de Terre » et j’attends les dessins que Chirico m’a promis pour l’illustrer. Quelques‑uns des poèmes qui entrent dans ce recueil (une vingtaine sont de ce dernier mois) comptent peut‑être pour moi un peu plus que tout ce que j’ai écrit jusqu’ici. J’en suis même content, ce qui est rare.
J’ai lu dans les Nouvelles littéraires une bien amusante chronique de Boissard, pleine de bon sens supérieur et d’esprit ; l’article (pas trop bête) de Crémieux sur le Bon apôtre, et c’est tout. Soupault, tout compte fait, ce n’est guère fameux, mais en peut‑il être autrement de romans écrits à vingt‑cinq ans et qui ne reposent sur aucune observation sérieuse, et qui ne laissent même pas le champ libre à des investigations plus profondes ? Je ne le crois pas, pour ma part, et j’attends Soupault à son prochain livre qui tombera, je pense, sur le même accueil indifférent que les ouvrages de Jaloux et autres denrées littéraires de seconde qualité.
Je vous remercie encore, cher Monsieur, et je vous prie d’agréer l’expression de mon plus affectueux dévouement.
André Breton.
24 rue Amiral Courbet
Lorient (Morbihan)

Bibliographie

André Breton, Lettres à Jacques Doucet, éd. Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2016, p.153-155.

Librairie Gallimard

Lieux d'exposition