Anabase
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Alexis Léger, dit Saint-John Perse
Recueil de poèmes publié chez Brentano's à New York en 1945.
Deux images, une notice descriptive, une bibliothèque, un lien.
Auteur Alexis Léger, dit Saint-John PersePersonnes citées Charles Fourier, Revue Fontaine, Georges Bataille, Max-Pol FouchetDestinataire André Breton
Lettre de Saint-John Perse à André Breton, datée de Washington le 3 mars 1948, et adressée à Paris.
Lettre insérée dans l'exemplaire d'Anabase de Breton.
Expédiée par M. Alexis Léger, 2800, Woodley Road. N. W., Washington, à M. André Breton, 42, rue Fontaine Paris IXe.
Réexpédiée à : Shady Rock, Route des Pins, Antibes. [site André Breton, 2019]
Washington, 2800 Woodley Road N. W.,
3 mars 1948
Cher Ami,
je m’en veux — ce ne sont pas des mots — d’avoir cédé encore à un si long silence. Vous n’aurez pas su combien j’ai été sensible à vos dernières communications : le prix que j’ai attaché à votre Fourier, le prix que j’ai attaché au ton de votre lettre.
C’est une étrange chose, cette amitié, dernière venue, qui a pris pour moi son sens propre à l’heure même où je prenais en toutes choses tant d’écart, et dont la signification semble s’accroître pour moi de tout ce qui lui a été refusé. Car notre long séjour du même côté de l’eau n’a pas plus favorisé nos rencontres que mes nombreuses années de servitude parisienne. Il y a des malices du sort qui ressemblent singulièrement à des prédilections, et j’évoque souvent à New York, du fond de quelque chambre d’hôtel, cette sonnerie de téléphone qui répondait chez vous dans le vide, un jour où je vous appelais et où vous étiez, soudain, à l’autre bout de l’Amérique (dans quelque Nevada). Mais je ne suis pas assez abstrait pour en prendre mon parti, et parce que je vous tiens, contrairement à votre légende, pour aussi humain que j’entends l’être moi-même, je veux vous avoir dit combien me touche encore l’amical son de voix qu’il y avait dans votre lettre.
Oui, j’ai aimé votre Ode à Fourier. Rien de plus inattendu, à tous points de vue. Et on ne la relit pas sans une certaine émotion. Vous aurez seul donné la vraie commémoration de 48 — la plus noble en tout cas, sinon la plus orthodoxe. Poétiquement, il y a là une vraie gageure, et que vous pouviez seul tenir : tenir face à vous-même, sans nul autre souci. Il est bien et il est beau de pouvoir intégrer pareille matière dans le lyrisme, et de l’y engager avec cette grande allure de simplicité, qui engendre encore un plus haut d’autorité. Vous avez trouvé une nouvelle forme, un nouveau ton d’incantation intellectuelle, dont l’efficacité va d’autant plus loin qu’elle est plus inapparente. Émouvante et dédaigneuse supercherie de la familiarité ! Au fond, il y a une insolence de la simplicité, de la véritable simplicité — la plus déconcertante — dont il faudrait bien pétrir un jour une nouvelle caste intellectuelle.
Faut-il ajouter qu’une œuvre aussi vôtre ne laisse point d’ouvrir, en cours de route, les plus beaux carrefours aux fuites de l’esprit — à ses transgressions ?
Merci aussi pour l’envoi du Manifeste que j’ai lu avec intérêt. Probité morale et probité d’esprit y suivent la même rigueur logique.
L’analyse que vous me faisiez de la situation n’a cessé de trouver sa justification de fait, dans l’évolution nationale aussi bien qu’internationale.
Vous vous étonniez de mon attardement à l’étranger. Aucune autre raison, certes ! que les raisons d’ordre matériel. Je ne veux plus de fonctions publiques (qui me renverrraient d’ailleurs à l’étranger) et je n’ai aucun moyen de subsister par moi-même à Paris. Je n’y ai non plus aucun logement, encore que j’y aie tous les miens. Le triste est que je n’entrevois guère quand pourra s’élucider cette situation matérielle — purement matérielle.
Je vous sais infiniment gré de tout ce que vous voulez bien me dire de l’activité et de la création littéraire à l’heure actuelle. J’attacherai toujours du prix à votre appréciation. Nos exigences sont les mêmes. Vos dernières indications restent seules valables pour moi.
Oui, j’aimerais bien recevoir Critique et La Revue Internationale, la première surtout, mais je ne saurais comment m’en acquitter en ce moment. Pour Fontaine et Les Cahiers de la Pléiade, le service m’en est déjà assuré.
Mais plus encore, Cher Ami, je veux vous remercier — et je le fais de tout cœur — de l’amicale sollicitude que vous voulez bien me témoigner, en ce qui me concerne personnellement. Les mots que vous me dites, pour réamorcer en moi l’intérêt littéraire, vous les dites si gentiment, qu’ils gardent en moi leur résonance humaine. Il ne m’arrive pas souvent de céder à ce libre mouvement qui est, pour vous, ma plus sincère réponse. Croyez, tout simplement, à tout ce que je mets dans ma poignée de main.
Je n’ai jamais rien su, pour ma part, de cet article que vous me disiez avoir vu annoncer dans Critique. Si l’auteur a pensé à me l’envoyer, il ne m’est jamais parvenu. À l’occasion, si vous jugiez qu’il en vaille la peine, demandez à Georges Bataille de me l’envoyer. (Sur la foi de ce que vous m’avez écrit de Critique, j’en ai parlé de mon mieux dans différents milieux, et deux abonnements ont été aussitôt souscrits sous mes yeux (Huntington Cairns et Elliott Colemann) ; d’autres suivront. Mais vous pouvez signaler à Bataille qu’on ne sait comment procéder ici pour s’abonner : les Maisons de New York refusent les souscriptions et les deux amis dont je vous parle ont dû écrire à un correspondant privé à Paris. Les grandes Bibliothèques publiques et les Universités qui seraient friandes d’une telle Revue, se laissent décourager par cette petite complication pratique. Seule, à ma connaissance, la Bibliothèque de New York recevrait déjà Critique — mais là je ne suis pour rien. Je crois que Bataille ferait bien d’envoyer à toutes ces Institutions, directement, une petite notice avec toutes indications pratiques. Au surplus, les services du Quai d’Orsay et de l’Attaché Culturel à New York devraient être en situation de lui faciliter les choses).
Le Directeur de la Revue Fontaine m’a annoncé la préparation d’un numéro spécial dont il voudrait me consacrer l’hommage. Il ne m’a pas encore demandé le texte inédit que je dois donner à cette occasion. J’ignore donc la date réservée à ce numéro, et l’état actuel de sa préparation. Je ne sais pas davantage sur quelles contributions il pourra compter. Ces voix sans doute me seront étrangères — intellectuellement peut-être autant qu’humainement. (Et comment en serait-il autrement, vu le cours extérieur de ma vie ?) De vous, Cher Ami, j’aimerais un témoignage : parce que je sais qu’il aurait pour moi sa signification propre et son prix ; parce que je sais aussi que cette solidarité publique me plairait, à l’heure même où tant de bassesse, de pauvreté et de lâcheté reflue contre tout ce que l’on vous doit. Au surplus, mes préoccupations, mes exigences et mes vœux ont de toujours été, sur l’essentiel, plus proches des vôtres qu’on ne le croit (mes œuvres perdues l’eussent mieux montré.)
Je vous exprime aussi simplement mon vœu, parce que je vous le dois, d’homme à homme, et parce que vous êtes de ceux qui sont de taille à témoigner. Mais ceci dit, je comprendrais aussi simplement tout ce qui pourrait s’opposer à la réalisation de ce vœu. Rien que de libre ne peut être souhaité de vous. Si vous ne pouvez donner quelques pages à Max-Pol Fouchet, gardez seulement, de mon regret, la mesure de cette libre franchise que j’aimerais toujours partager avec vous.
Donnez-moi encore de vos nouvelles. J’essaie parfois d’imaginer toutes les difficultés que l’heure actuelle peut opposer, en France, à l’activité littéraire, ou seulement à la vie quotidienne, d’un écrivain de votre classe. Je n’appréhende que trop pour vous, parmi tant de problèmes matériels qui seraient pour moi-même insolubles ou harrassants [sic], tout ce contre quoi vous avez à défendre un peu de liberté d’esprit — ou seulement un peu de temps. J’aimerais apprendre de vous que vous parvenez tout de même, dans tout cela, à faire place au très grand luxe du poète. Puissiez-vous, du moins, être affranchi de préoccupations pour ceux qui vous sont proches.
De ce côté du monde, où vous n’avez pu non plus respirer librement, vous avez laissé une très vivante figure. Mais je ne pense pas que vous gardiez, de l’Amérique, plus qu’un souvenir planétaire.
Encore une attentive et bien amicale pensée, que j’aimerais un jour partager avec vous, de vive voix, en France.
Henri Béhar (éd.), « Surréaliste à distance », Europe, nov.-déc. 1995, n° 799-800, pp. 59-84.
Date de création | 3/3/1948 |
Adresse de destination | |
Langues | français |
Lieu d'origine | |
Bibliothèque | |
Nombre de pages | 7 |
Référence | 19002330 |
Vente Breton 2003 | Lot 1011 |
Mots-clés | correspondance, Fourier, revue |
Catégories | Correspondance, Lettres à André Breton |
Série | [Correspondance] Correspondance avec Saint-John Perse |
Lien permanent | https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600101000729 |
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Alexis Léger, dit Saint-John Perse
Recueil de poèmes publié chez Brentano's à New York en 1945.
Deux images, une notice descriptive, une bibliothèque, un lien.