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[J'espère que tu es heureuse...]

Lettre datée de Saint-Cirq, le 5 juillet 1951

Correspondance

Auteur

Auteur André Breton
Personnes citées Elisa Claro Breton, Jacques Cordonnier, Suzanne Muzard, ép. Cordonnier, Benjamin Péret
Destinataire Aube Breton, épouse Elléouët

Descriptif

Lettre d'André Breton à sa fille Aube datée de Saint-Cirq-La-Popie du 5 juillet 1951.

 

Transcription

St Cirq, le 5 juillet 1951

Ma petite Aube chérie,

J’espère que tu es heureuse, en tout point heureuse et que tu ne vas pas tarder à me le dire. Raconte-moi où tu es, à quoi tu t’occupes — enfin tu sais bien : tout ce qui te concerne et comment tu t’entends avec ton petit frère. Ce doit être pour toi quelque chose de très spécial et de très grand que de le retrouver au bout deux ans : quel âge a-t-il au juste ? En tout cas la communication avec lui doit être pour toi tout autre que celle que tu as pu avoir jusque-là.

Je venais ce matin de mettre sous enveloppe pour Huguette la feuille d’inscription à Jules-Ferry quand le facteur m’a apporté tes dernières notes du cours Raspail. À ces notes est jointe une lettre assez inquiétante de M. Fournier puisqu’elle commence ainsi : « Cher Monsieur. En raison de la faiblesse d’Aube en orthographe et grammaire, je dois exiger d’elle un examen de passage dans ces deux matières à la rentrée d’octobre. J’espère qu’elle pourra travailler un peu pendant les vacances et réussira à cet examen… » Même si cela me coûte de te causer des soucis en ce moment, tu dois comprendre, petit chéri, que je ne puis faire autrement : as-tu emporté avec toi quelques livres d’étude ? au cas contraire il faut que tu rachètes une grammaire et que tu t’astreignes chaque matin à un travail réel d’une à deux heures. En dépit de ce que tu me dis des conditions de l’examen d’entrée au lycée, à supposer même que tu y satisfasses, ayant évité dans la narration d’employer les mots de l’orthographe desquels tu n’es pas sûre, sois bien persuadée que ton futur professeur décèlera ta faiblesse dès la première dictée et surtout dès la première analyse. Or tu reconnaîtras certainement que rien ne serait plus désastreux que le parti qu’il prendrait certainement de te faire rétrograder de troisième en quatrième. Comment veux-tu que dans ces conditions tu puisses atteindre à temps le bachot ? Je fais appel ici à tout le sentiment que tu peux avoir de ta responsabilité. Il y va de quelque chose de très grave, crois-moi. Tout le déroulement ultérieur de ta vie peut en dépendre.

Il me faut bien te dire que les notes de compositions de ce dernier trimestre sont très loin d’être celles que j’attendais, d’après tes promesses. Tu es première, il est vrai, en anglais et en dessin mais 7e en français, 9e en français, 9en mathématiques. Ce qui me donne mieux encore la mesure de tes efforts c’est qu’en histoire et géographie, avec un professeur qui a toute ta sympathie, tu es respectivement 9e et 15e sur 16 élèves, ce qui est tout à fait déplorable.

Je te parle aujourd’hui plus attentivement, plus sérieusement que je ne t’ai peut-être jamais parlé. Puisqu’on a cru bon de te communiquer avant l’heure où elle t’était destinée une lettre que je t’écrivais quand tu avais huit mois (ceci d’après la signature de tes deux dernières lettres), lettre dans laquelle alors j’ai voulu mettre tout ce que je pouvais garder d’espoir humain, c’est sans doute que tu es assez grande dès maintenant pour me comprendre. Si tu ne prends pas immédiatement, seule avec toi-même, des mesures pour orienter différemment le cours de tes pensées, si tu ne choisis pas la difficulté de préférence à la facilité en toutes choses, tu t’apercevras dans un ou deux ans que c’est là un cours qui ne se remonte plus.

Rappelle-toi comment Dominique, sans être moins gracieuse pour cela (son christianisme n’a rien à faire ici), vivait à Paimpont, comment elle savait très harmonieusement partager son temps entre le travail même en vacances et le plaisir et tâche, en cet été 1951 qui est de toute importance dans ta vie, de te conformer un peu à sa méthode, la seule valable sans aucun doute.

Elisa t’adresse ses meilleures pensées et toutes sortes de tendresses. Suzanne et Jacques, aussi bien que Benjamin, insistent, comme nous venons de quitter la salle à manger, pour qu’on ne les oublie en rien auprès de toi.

Je t’embrasse, mon chéri.

André

 

Bibliographie

André Breton (éd. Jean-Michel Goutier), Lettres à Aube, Paris, Gallimard, 2009, p. 49 à 51

Librairie Gallimard

Date de création05/07/1951
Date du cachet de la Poste05/07/1951
Adresse de destination
Notes bibliographiques

2 pages in-4°

ProvenanceSaint-Cirq-Lapopie, Lot
Lieu d'origine
Bibliothèque

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : Ms Ms 41363_50

Modalité d'entrée dans les collections publiquesDon Aube et Oona Elléouët à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, Paris, 2003
Nombre de pages2
Crédit© Aube Breton, Gallimard 2009
Référence19004935
Mots-clés,
CatégoriesCorrespondance, Lettres d'André Breton
Série[Correspondance] Lettres à Aube
Lien permanenthttps://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600101000095
Lieu d'origine
Lieu d'arrivée