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[Je suis très sensible à vos marques...]

Lettre datée de Paris, le 10 décembre 1932

Correspondance

Auteur

Auteur Jacques-Émile Blanche
Personnes citées Dr Blanche, Louis-Ferdinand Céline, Sigmund Freud, André Gide, Lucien Herr, Marie-Jean-Léon Lecoq, dit d'Hervey de Saint-Denys, Jacques Rigaut, Valentine Hugo
Destinataire André Breton

Descriptif

Lettre de Jacques-Émile Blanche à André Breton, datée de Paris, le 10 décembre 1932.

La vente de 2003 avait indiqué que cette lettre encartée dans un livre de Maxime Alexandre, Secrets, était de Maxime Alexandre.

Le lecteur aura corrigé de lui-même : la lettre encartée dans l'exemplaire de Secrets n'est pas cette missive, qui est d'ailleurs de Jacques-Émile Blanche, dont Jacques Rigaut était le secrétaire avant son suicide en 1929.

Cette lettre est écrite le 10 décembre 1932 sur papier bleu, et couvre trois pages et demie d'encre noire. [site André Breton, 2017]

Artiste et écrivain, Jacques-Émile Blanche – petit-fils du docteur Blanche - répond longuement à l'envoi des Vases communicants. Ayant toujours une affection pour les surréalistes (Rigaut fut son secrétaire, et il parraina Dada dans ses premiers temps), il reconnaît à Breton un sens de la syntaxe, un sérieux intellectuel et une envergure plus qu'appréciables. Il n'apprécie pas, par ailleurs, le manifeste du Seigneur de Cuverville, comprendre : le journal de Gide, publié en 1932, et que n'aime pas Breton non plus. Cependant, la lettre vire vite à la critique drue : après avoir relevé quelques préciosités de style, Blanche fait part de son incompréhension quant à la fascination des surréalistes pour l'URSS (voyage de Céline (Mea Culpa) à l'appui). Plus que tout, Blanche craint l'esprit fonctionnaire de la troisième République, incarné par le « cuistre » Lucien Herr, et qui a plongé le peuple français dans la « veulerie ». Cet esprit socialiste et le militarisme européen sont bien plus à craindre que la réaction bourgeoise ; en outre, la destruction de Paris déplorée par Les Vases communicants a son lit dans cet esprit moderne.

L'objectif psychiatrique de Breton n'a pas non plus ses faveurs : ayant connu Hervey de Saint Denis, il rapporte que les expériences de ce « Don Quixotte à cravate lavallière » n'eurent aucun résultat. Dommage que Breton se soit appesanti sur elles. Ajoutons (!) que le docteur Blanche, grand'père de l'auteur de la lettre, a précédé Freud dans la découverte de l'inconscient...

Pour finir, Blanche déplore l'absence d'illustrations pour le volume ; ce manque sera comblé dans l'édition tchèque, en 1934. [Site André Breton, 2023]

 

Transcription

10 Déc. 1932 Paris

Mon cher André Breton[,]

Je suis très sensible à vos marques répétées depuis dix ans, de fidèle sympathie pour l’ami de Jacques Rigaut et l’un des parrains de Dada. Mme Valentine m’en donnait, il n’y a pas longtemps encore, un charmant témoignage. Vous savez l’estime que je n’ai cessé de professer à l’égard de votre esprit, de la puissance de votre dialectique ; cette vertu si rare aujourd’hui, contribuera certes à former cette langue solide qui m’enchante et se combine de façon si exceptionnelle avec celle du poète ! Êtes-vous assez de notre terrain/terroir ! Quelque part, vous faites allusion aux Encyclopédistes... Oui, oui, Breton, mais ne soyez pas trop « historique ». Par ci par là, je retrouve l’ancien « précieux » (page 93 – talon rouge et charcuterie) – et il me déconcerte, ici. Pour être franc, vous l’avouerai-je ? Je n’accepte pas d’emblée certains de vos postulats, telles affirmations n’admettant aucune résistance, qui pourtant me semblent arbitraires[,] comme la plupart des solutions envisagées pour les problèmes essentiels que l’heure propose hommes. Seule, souvent, votre dialectique leur confère une apparence de vérité absolue.

Je ne parviens pas, moi dont l’existence aura été terriblement dramatique, à croire que des conditions sociales subies par un individu puissent dépendre des tourments. Il n’est ni condition, ni âge qui nous en épargnent la morsure. Je viens de vivre, et peut-être suis-je aujourd’hui [en train] de vivre, un rêve éveillé qui, pour avoir eu comme génitrices des circonstances peu semblables aux épisodes de votre Avril 1931, ne vous en intéresserait pas moins. Après tout, elles doivent être du même ordre. Je dois m’infliger un effort constant et singulièrement ardu, au seuil de la grande vieillesse, afin de me convaincre que je ne suis plus jeune. Car je le suis – et trop. Eussé-je plus de liberté d’esprit, je tenterais de vous en dire long sur les Vases communicants (titre d’un livre que j’avais voulu écrire !) [.] J’éprouve du regret que votre étonnant ouvrage m’arrive accompagné de Céline et sitôt après le manifeste du Seigneur de Cuverville – avec lequel j’entretiens une correspondance) depuis qu’a paru le Journal « intime », mais fabriqué pour la N.R.F. En effet, le hasard, ma volonté, ma curiosité ont fait de moi un des Français les moins mal renseignés sur les choses de Russie. Ma pensée se dirige inlassablement vers ce monde qui me fascine depuis que j’en étudie les rouages. Mais que vous puissiez imaginer sans horreur le peuple de notre pays, cette nation aveulie, crétinisée par cinquante ans de parlementarisme, pourrie par l’École – tant Normale Supérieure, que primaire – cette race de petits fonctionnaires gourds, ignares et prétentieux, voilà ce qui me confond. Vous qui avez la passion de la Catastrophe, attendez mieux : j’aperçois le bouleversement ; la destruction de ce Paris que vous chantez magnifiquement, [ô] Breton, mais l’Exécuteur des hautes œuvres, s’il vient de l’Est, ce n’est pas des confins de l’Asie.

3

Quoi ? Vous prophétisez l’annihilation des armées, vous fondez vos espérances sur l’Armée-Rouge et sa mission ? Collez votre oreille à la terre. Partout on forge des armes. Vos visions sont du domaine de la Poésie. J’ai connu Lucien Herr, ce rat de bibliothèque, ce cuistre – vélocipédiste, inspirateur de générations et de générations de « penseurs » français. Faut-il donc croire à l’Éternel retour ?

Un mot encore : j’ai connu dans son adolescence le vieux Marquis d’Hervey de St Denis dont la femme si belle fut l’amie des miens. M. d’Hervey a cent fois répété à mon père aliéniste (le Dr Blanche qui a [brûlé] tous ses dossiers et rapports de médecine légale, avant sa mort, a précédé Freud et l’annonçait) – que, jamais, aucune de ses expériences n’avait produit de résultats positifs. Qui donc a inventé les histoires que vous commentez ; ou bien est-ce lui qui les a truquées ? Sinéologue érudit, esprit fort original, complètement « timbré », excessivement cocu, le plus malheureux des amants, ce Don Quixotte à cravate lavallière n’était, à tout prendre, qu’un fantoche lamentable.

Que de questions n’aurais-je pas à vous poser, cher Breton, si je ne traversais une période d’épreuves pénibles qui paralysent un peu mes modestes facultés !

Je tenais à vous remercier tout de suite [.]

Cordialement

J-E Blanche

Ne pourriez-vous pas faire illustrer vos livres, leurs couvertures par quelque artiste ? Ou bien vous servir de photographies[.]

Date de création10/10/1932
Date du cachet de la Poste10/12/1932
Adresse de destination
Notes bibliographiques

Ms, encre noire sur papier bleu, 3 pages 1/2, in-4°. Enveloppe conservée.

Languesfrançais
Lieu d'origine
Nombre de pages4 p.
Référence6332000
Vente Breton 2003Lot 3
Mots-clés, , , , ,
CatégoriesCorrespondance, Lettres à André Breton
Série[Correspondance] Les Vases communicants
Lien permanenthttps://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600100999996
Lieu d'arrivée

Notice reliée à :

1 Œuvre
 
False

[Tu sais sans doute que j'avais écrit...]

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Maxime Alexandre

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Lettre de Maxime Alexandre à André Breton, datée de Strasbourg, le 12 décembre 1932.

Trois images, une notice descriptive, un lien, deux séries.

[Correspondance] Les Vases communicants, [Correspondance] Lettres de Maxime Alexandre