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[Nous vous serions bien obligés...]

Lettre datée du 10 octobre 1924

Correspondance

Auteur

Auteur non identifié
Destinataire Ivan Goll

Descriptif

Lettre de la librairie Plon à Ivan Goll, datée de Paris, le 10 octobre 1924.

En octobre 1924, la concurrence autour de la paternité du surréalisme fait rage. Si Picabia se veut le père du surréalisme, qu'il considère comme une autre version de Dada, Goll se présente comme l'héritier d'Apollinaire, inventeur du terme en 1919.

Peu avant la publication du Manifeste (celui-ci paraît le 15 octobre 1924), aidé de Picabia et du poète Paul Dermée, Goll a mené une cabale pour « enlever le surréalisme à Breton » (Lettre d’Ivan Goll à Picabia, 3 octobre 1924, citée par Marguerite Bonnet dans André Breton, Naissance de l’aventure surréaliste, José Corti, 1988, p. 333). Il déclare ainsi, en août 1924 : « Quoiqu’il en soit, le Surréalisme appartient à tout le monde, et ne sera pas monopolisé. En attendant la Révolution surréaliste, j’ai bien envie de fonder plus simplement une Évolution surréaliste. » Le même mois, il publie sa revue concurrente, Surréalisme, qui n'aura qu'un seul numéro ; elle compte, parmi ses collaborateurs, outre Apollinaire post-mortem, des déçus ou exilés du surréalisme comme Delteil, ainsi que d'autres membres des avant-gardes - moins provocateurs il est vrai (Paul Morand, Pierre-Albert Birot, Delaunay, Reverdy).

Fort logiquement, Surréalisme s'ouvre sur un contre-manifeste. A l'inverse d'une définition scientifique, comme celle de Breton (« surréalisme, n.m. Automatisme psychique. »), Goll propose un emploi très général du mot, qui, pour lui, doit simplement désigner le « style de l’époque ». Il va même jusqu'à affirmer, au rebours du groupe de la rue de Grenelle :  « la réalité est la base de tout grand art » ; conception, on le comprend, bien éloignée du groupe de la rue de Grenelle...

Guerre de nom, donc, qui fâche grandement Breton : « C’est de mauvaise foi qu’on nous contesterait le droit d’employer le mot SURREALISME dans le sens très particulier où nous l’entendons, car il est clair qu’avant nous ce mot n’avait pas fait fortune. », note-t-il dans le Manifeste. C'est que le mot a été inventé par Apollinaire dans sa préface aux Mamelles de Tirésias, avec un sens, cependant quelque peu différent, bien plus romantique, populaire et patriotique :

« Pour caractériser mon drame je me suis servi d’un néologisme qu’on me pardonnera car cela m’arrive rarement et j’ai forgé l’adjectif surréaliste [nous soulignons] qui ne signifie pas du tout symbolique comme l’a supposé M. Victor Basch, dans son feuilleton dramatique, mais définit assez bien une tendance de l’art qui si elle n’est pas plus nouvelle que tout ce qui se trouve sous le soleil n’a du moins jamais servi à formuler aucun credo, aucune affirmation artistique et littéraire. (...)

Le sujet est si émouvant à mon avis, qu’il permet même que l’on donne au mot drame son sens le plus tragique, mais il tient aux Français que, s’ils se remettent à faire des enfants l’ouvrage puisse être appelé, désormais, une farce. Rien ne saurait me causer une joie aussi patriotique. N’en doutez pas, la réputation dont jouirait justement, si on savait son nom, l’auteur de la Farce de Maistre Pierre Pathelin m’empêche de dormir. (...) J’ai écrit mon drame surréaliste [nous soulignons] avant tout pour les Français comme Aristophane composait ses comédies pour les Athéniens. Je leur ai signalé le grave danger reconnu de tous qu’il y a pour une nation qui veut être prospère et puissante à ne pas faire d’enfants, et pour y remédier je leur ai indiqué qu’il suffisait d’en faire. »

Le terme est donc réinventé, à l'infini (on trouve même plusieurs interprétations du terme dans le groupe de la rue de Grenelle, entre Aragon, qui écrit Une vague de rêves, et Breton, auteur du Manifeste mais aussi de Poisson soluble). Un article de P. Durant, que l'on pourra lire avec profit (« Pour une lecture institutionnelle du manifeste du surréalisme », in Mélusine, n°VIII, 1986, p. 177-195), éclaire la situation de ces avant-gardes et précise la spécificité de Breton : si Goll bénéficie de l'antériorité et d'un certain vent de fronde contre les anciens Dadas, la définition de Breton, le caractère scientifique et pédagogique de son texte ainsi que sa rigueur supérieure pour préciser un mouvement novateur, entérinent la victoire du groupe de la rue de Grenelle. De plus, le groupe bénéficie de participants talentueux (Aragon, Desnos, parmi d'autres) et enthousiastes, liés par une cohésion bien plus forte.

La librairie Plon fait ici l'erreur d'écrire au groupe de Breton en croyant contacter Goll ; on peut lire, de même, la lettre de Tristan Martin dans les archives d'André Breton, qui fait la même confusion. On comprendra, plus tard, la colère des surréalistes : ils ne tarderont pas à envoyer, durant le même mois, des lettres au Figaro et à L'Intransigeant pour mettre fin à la confusion. [Antoine Poisson, Site André Breton, 2021]

 

Date de création10/10/1924
Adresse de destination
Notes bibliographiques

Ts, encre violette, avec signature - une page sur papier à en-tête de la librairie Plon.

Enveloppe non conservée.

Languesfrançais
Lieu d'origine
Nombre de pages1 p.
Référence1394000
Mots-clés, , ,
CatégoriesCorrespondance, Correspondances transmises
Série[Revue] La Révolution surréaliste, [Revue] La Révolution surréaliste, 1
Lien permanenthttps://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600101001660
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