La Collection
Accueil > Œuvres > [Rien ne saurait m’être plus agréable...][Rien ne saurait m’être plus agréable...]
Lettre datée du 2 septembre 1923
Auteur
Auteur André BretonPersonnes citées Giorgio De Chirico, Remy de Gourmont, Paul Klee, Maurice Magre, Stéphane Mallarmé, Man Ray, Arthur Rimbaud, Marc Chagall, Marcel Duchamp, Max Ernst, Paul Fort, Francis Picabia, Pablo Picasso, André Suarès, Paul VerlaineDestinataire Jacques Doucet
Descriptif
Lettre d'André Breton à Jacques Doucet, le 2 septembre 1924, sans adresse.
Transcription
Lorient le 2 septembre 1923
Très cher Monsieur,
rien ne saurait m’être plus agréable que cette nouvelle ; vous savez à quel point je désirais que votre collection s’accrût d’une œuvre de Duchamp ; celle‑ci va combler la principale lacune que cette collection présentait à mon sens. J’ai toujours dit, si vous vous souvenez, que Duchamp était le seul peintre qui dût à tout prix y entrer encore, afin de marquer le point extrême de la trajectoire moderne dans le domaine de la peinture. À condition, bien entendu, de donner à ce dernier mot toute la gravité nécessaire, et de le dématérialiser autant que possible, puisque telle semble être actuellement la volonté commune à des hommes comme Picasso, Picabia, Duchamp, Chirico, Ernst, Man Ray, Chagall et Klee.
Je me réjouis fort à l’espoir d’admirer bientôt le verre en question. Mais pourquoi, Monsieur, le trouvez‑vous d’un placement si difficile ? Je crois, j’ai même l’absolue conviction qu’il figurera avec avantage parmi vos autres objets d’art, qu’il s’y fera tout naturellement une place, comme vous l’avez observé vous‑même pour les tableaux mécaniques de Picabia. Le tout est d’en faire l’expérience mais le résultat pour moi n’en est pas douteux.
Je viens de lire dans « Comœdia » l’article de Suarès sur Mallarmé dont la première partie me déplaît fort ; « Un grand poète qui n’a pas laissé plus de deux cents vers » : singulier penseur que M. Suarès qui ne se refuse pas à ces calculs navrants, comme si la qualité ne sauvait pas toujours la quantité, la petite ou la grande quantité ! N’y aura‑t‑il pas quelque cuistrerie plus tard à compter le nombre de pages de M. Suarès qui méritent de survivre ; ne sera‑ce pas céder à l’esprit le plus romanesque et le moins solide que d’opposer à l’œuvre réelle de M. Suarès cette espèce d’œuvre virtuelle que Mallarmé, par jeu poétique, se proposait soi‑disant de mener à bien ? Il s’est trouvé naturellement quantité de bons esprits critiques pour prendre cela au sens propre, ce qui est plaisant pour la mémoire de Mallarmé qu’on trouve encore par là le moyen d’honorer d’une façon ridicule. Ces derniers temps, à la suite d’un ou deux articles dont le côté moral m’avait touché, j’avais repris un peu confiance en Suarès mais ces gloses sur Mallarmé le rendent à mon ancienne antipathie. Certes il y a des réserves à faire sur Mallarmé (ces réserves, les faire publiquement est d’une opportunité discutable) mais tomber à ce propos dans le piège de la citation plus que partielle, comme Remy de Gourmont il y a trente ans ; opposer à Mallarmé Verlaine dont l’influence sur la poésie est nulle dans le bon sens (Verlaine dont personne ne s’est plus réclamé depuis Maurice Magre ou Paul Fort) ou Rimbaud pour parler du « fatal avortement » de ce dernier (?) ; ne pas avoir un mot pour souligner l’absurdité qu’il y a à commémorer la mort d’un homme qui ’est tenu volontairement à l’écart de toute espèce d’honneurs, qui s’est refusé jalousement à servir la moindre entreprise de vulgarisation intellectuelle, comme celle que poursuit M. Suarès, voilà qui est impardonnable et médiocre.
Excusez‑moi, Monsieur, de vous parler franchement au sujet de paroles qui m’ont été à cœur, venant d’un homme dont l’attitude littéraire me semble louable, et aussi d’un de vos amis. Mais j’aimerais que vous fassiez connaître votre opinion sur ce différend. Vous savez que je ne suis pas mallarméen de tendance et qu’il ne s’agit ici pour moi que de servir une vérité générale dont, je pense, André Suarès a autant que moi le souci.
Veuillez croire, cher Monsieur, à ma grande affection
André Breton.
Bibliographie
André Breton, Lettres à Jacques Doucet, éd. Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2016, p.158-160.
Librairie Gallimard
Date de création | 02/09/1923 |
Notes bibliographiques | Deux pages sur un feuillet 27 × 21 cm. |
Langues | français |
Bibliothèque | Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : BLJD 7210-37 |
Dimensions | 21,00 x 27,00 cm |
Crédit | © Aube Breton, Gallimard 2016 |
Mots-clés | correspondance, lettre |
Catégories | Correspondance, Lettres d'André Breton |
Série | [Correspondance] Lettres à Jacques Doucet |
Lien permanent | https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600101001036 |