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Huile sur toile de 1940 par Fleury-Joseph Crépin, peintre associé à l'art brut et proche des milieux spirites.
Signée en bas à gauche : Crépin Fy - J.H. ; annotée en bas à droite : n° 110 J.H. Crepin. F. 22 - 12 - 1940
Fleuy-Joseph Crépin
« Un jour, en traçant ses notes de musique, il s'est aperçu que sa main ne lui obéissait plus, et qu'au lieu des clefs et des portées, il était en train de dessiner des formes géométriques pour le moins surprenantes. Il avait soixante-trois ans.
« Mais déjà, auparavant, il avait découvert chez lui un don de guérisseur et de radiesthésiste. Il guérissait même à distance. Il suffisait pour cela d'un cheveu du malade que Crépin posait sur un cœur en carton découpé par lui-même et que ledit malade devait poser à l'endroit où il avait mal. Des quantités de lettres attestent de l'authenticité de ces faits. À tel point qu'il fut même attaqué par l'Ordre des médecins, mais acquitté par le tribunal. Même ses propres tableaux, Crépin les considérait comme bénéfiques. La preuve ? Le pays a beaucoup souffert de la guerre, mais partout où il y avait une peinture de Crépin, les maisons demeuraient intactes. Aussi, il peignait souvent la nuit, au son du violon de sa fille, ou en écoutant les concerts de la T.S.F. Mais personne ne l'a vu peindre.
« Toujours pendant la guerre, il a entendu une voix qui lui disait : "Quand tu auras fini trois cents tableaux, ce jour-là la guerre finira." Et il signa son trois centième tableau le 7 mai 1945.
« Il a prédit aussi sa propre mort, toujours au bout d'un certain nombre de ses tableaux qu'il qualifiait lui-même de merveilleux. Crépin est mort le 10 novembre 1949 à l'âge de soixante-quatorze ans. Son œuvre était peu connue de son vivant. À part les expositions quasi confidentielles qu'il a faites en 1945, 1946 et 1948 à la galerie Lefranc (le fameux fabricant des couleurs qui les échangeait contre sa peinture), rien de sérieux n'a été fait jusqu'à présent pour faire connaître cette étrange peinture, de même que le curieux destin de son créateur. Or, dernièrement, pour commémorer le septième anniversaire de sa mort, une galerie de la Rive gauche, À l'Étoile scellée, a organisé une importante rétrospective de l'œuvre de Crépin. André Breton lui-même s'est chargé, et du choix, et de la présentation. » Anatole Jakovsky (Les Peintres naïfs, Paris, La bibliothèque des arts, 1956, pp. 82-83).
André Breton découvrit Joseph Crépin en 1948, à l'occasion des premières manifestations de l'art brut.
« Sa méthode de travail est la suivante : il se borne à reporter sur toiles les dessins de ses cahiers en les agrandissant au besoin. Il a conscience de n'être pour rien dans le choix et la distribution des couleurs ; c'est comme si on l'amenait à mettre telle ou telle couleur à telle place. De la sorte il est quitte de toute hésitation comme de tout repentir : aussi bien, observe-t-il, il n'a jamais "manqué un tableau".
« J'ai pu examiner quelques feuilles des cahiers de Joseph Crépin, recouvertes des dessins d'après lesquels il a exécuté ses peintures. Ce qui frappe d'abord est qu'il s'agit toujours de pages quadrillées. On ne tarde pas à découvrir que c'est le quadrillage même qui fait l'office de trame, en ce sens que les verticales et les horizontales du dessin se bornent à renforcer certaines parties du réglage, les obliques à joindre diagonalement tels sommets opposés d'angles de carrés ou de rectangles offerts par le papier, les courbes (au moins les courbes maîtresses) à se décrire en arcs de cercle autour de tels points d'intersection fournis par les lignes de repère.
« Le dessin s'organise symétriquement par rapport à l'axe vertical de la feuille. Il y a là rappel d'un procédé en usage chez les enfants qui, je crois, le redécouvrent individuellement devant le même papier quadrillé, mais Crépin en tire un parti incomparable. Chez lui, ce mode schématique de construction se montre propice à la création de colonnes, frontons, balustres, dais, sièges somptueux, hautes lampes, étoiles et croix de tous modèles qui, en quelque sorte articulés au soleil et à la lune, de même armature géométrique préalable, par un système de clous de couleurs (ces "points" en relief, de la profusion et de la perfection desquels Crépin se montre si fier) prêtent à sa peinture quelque chose de la solennité qui passe dans les mots Trône et Domination, quand ils auraient perdu tout sens pour nous.
« Dans l'œuvre de Crépin, la figuration humaine est pratiquement réduite à la tête et au cou, comme dans les tableaux du mineur Lesage de 1927-1928, mais chez lui cette tête offre un caractère moins conventionnel et bien autrement inquiétant (plus en rapport avec les grimoires qu'avec les livres de piété). Il arrive du reste qu'ici ou là elle soit soutenue et comme flairée par des bêtes d'aspect larvaire qui ne sont pas sans présenter des analogies de forme avec celles qu'on découvre dans le tableau de Lesage, intitulé Le Grand Esprit de la Pyramide (1927), comme avec les "souris-mangues" issues de la libido de Wölfli.
« Les "temples" de Joseph Crépin ont ceci de commun avec le Palais idéal du facteur Cheval qu'ils ne comportent pas, à proprement parler, d'"intérieur" et d'"extérieur", ou que cet intérieur et cet extérieur sont comme imbriqués l'un dans l'autre. Ils se dressent dans un espace où ce qui est présumé "derrière" communique au point de ne faire qu'un avec ce qui est présumé "devant" comme ce qui est présumé "dessus" avec ce qui est présumé "dessous" et où rien ne porte ombre, jamais. Ils constituent un des plus beaux fleurons de l'art médianimique. » André Breton (Le surréalisme et la peinture, Nouvelle édition revue et corrigée, 1928-1965, Paris, Gallimard, 1965, p. 298-307).
Art Brut
« Dans ce véritable manifeste de l'Art brut que constitue la notice datée d'octobre 1948, notre ami Jean Dubuffet insiste on ne peut plus justement sur l'intérêt et la spéciale sympathie que nous portons aux œuvres qui "ont pour auteurs des gens considérés comme malades mentaux et internés dans des établissements psychiatriques". Il va sans dire que je m'associe pleinement à ses déclarations : "Les raisons pour lesquelles un homme est réputé inapte à la vie sociale nous paraissent d'un ordre que nous n'avons pas à retenir." Je me déclare en non moins parfait accord avec Lo Duca, auteur d'un remarquable article intitulé L'Art et les Fous qu'on m'a communiqué sans malheureusement pouvoir m'en indiquer la référence et dont je me bornerai à citer ces fragments : "Dans un monde écrasé par la mégalomanie et l'orgueil, par la mythomanie et la mauvaise foi, la notion de folie est bien imprécise." On a d'ailleurs remarqué qu'un nombre excessivement restreint de mégalomanes est soigné par les psychiatres. En effet, dès que la folie devient collective - ou se manifeste par le truchement de la collectivité - elle devient taboue... A nos yeux, le fou authentique se manifeste par des expressions admirables où jamais il n'est contraint, ou étouffé, par le but raisonnable. Cette liberté absolue confère à l'art de ces malades une grandeur que nous ne retrouvons avec certitude que chez les Primitifs...
Il est à observer qu'une gêne croissante, dès qu'il s'agit de la place à faire à de telles œuvres, n'a cessé depuis un demi-siècle de s'exprimer dans les milieux psychiatriques - soit dans un cercle où pourtant ces œuvres étaient essentiellement considérées en fonction de leur valeur clinique. Déjà dans son ouvrage L'Art chez les fous, publié en 1905, Marcel Réja s'oppose à ce que leur qualité maladive les fasse tenir pour "des choses hors cadre, sans rapport avec la norme" et se montre sensible à la beauté de certaines d'entre elles. Hans Prinzhorn (Bildnerei des Geistenkranken, 1922) en révélant celles qui lui paraissent les plus remarquables - notamment d'August Neter, de Hermann Beil, de Joseph Sell et de Wölfli - et en leur assurant une présentation pour la première fois digne d'elles, appelle leur confrontation avec les autres œuvres contemporaines, confrontation qui, sous bien des rapports, tourne au désavantage de celles-ci...
Je ne craindrai pas d'avancer l'idée, paradoxale seulement à première vue, que l'art de ceux qu'on range dans la catégorie des malades mentaux constitue un réservoir de santé morale. Il échappe en effet à tout ce qui tend à fausser le témoignage qui nous occupe et qui est de l'ordre des influences extérieures, des calculs, du succès ou des déceptions rencontrées sur le plan social, etc. Les mécanismes de la création artistique sont ici libérés de toute entrave. Par un bouleversant effet dialectique, la claustration, le renoncement à tous profits comme à toutes vanités, en dépit de ce qu'ils présentent individuellement de pathétique, sont ici les garants de l'authenticité totale qui fait défaut partout ailleurs et dont nous sommes de jour en jour plus altérés. » André Breton (Le Surréalisme et la peinture, Nouvelle édition revue et corrigée, 1928-1965, Paris, Gallimard, 1965, pp.313-316).
Expositions
- Paris, Musée national d'art moderne/Centre Georges Pompidou, Paris-Paris, Création en France, 1937-1957, 1981, n° 143 (étiquette au dos)
- Villeneuve d'Ascq, Musée d'art moderne de Lille Métropole, Fleury Joseph Crépin, Rétrospective, 2000, rep.p. 133, n° 69
Date de création | 1940 |
Date d'édition | 1940 |
Langues | français |
Notes | 56 x 73,3 cm (avec cadre) (22. x 28 7/8 in.) - Huile sur toile |
Vente Breton 2003 | Lot 4208 |
Mots-clés | art brut ou naïf, peinture |
Catégories | Œuvres graphiques |
Lien permanent | https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600100805650 |