[Voici le texte pour la revue...]
Lettre de Benjamin Péret à André Breton, datée de Rio, le 19 janvier 1956 et encartée dans Un art à l'état brut, de Karel Kupka.
Une image, une notice descriptive, une bibliothèque.
Auteur Karel KupkaPréface de Alfred BühlerTexte de André Breton
Ouvrage du peintre et anthropologue Karel Kupka avec un texte d'André Breton intitulé « Main première », édité à Lausanne en 1962.
Édition originale illustrée de reproductions en noir et en couleurs.
Texte d'André Breton et préface d'Alfred Bühler.
Une lettre autographe signée de Benjamin Péret située et datée Rio de Janeiro 19 janvier 1956 relative aux Indiens du Brésil (1 page in-12) est encartée dans l'exemplaire. [catalogue de la vente, 2003]
Main première
L'œil non prévenu, je veux dire non instruit de ce qu'il va voir, mais aussi non faussé par la « façon de voir » qui, en Occident, lui est impartie depuis des siècles, se laissera-t-il errer sur ces écorces peintes tombées devant lui des lointains de la Terre d'Arnhem, qu'il trouvera son bien, tout d'abord, dans leur exemplaire harmonie. Bien avant de pénétrer les intentions qui y président, il s'enchantera de l'accord privilégié qui englobe leurs éléments constitutifs. Leur texture, qui va du plus souple au plus serré, épouse si parfaitement la gamme de couleurs réduite et pourtant si riche dont elles disposent que le plaisir immédiat qu'elles procurent tend à se confondre avec celui que dispensent les coquillages de là-bas - cônes, volutes et autres - fascinants entre tous. Elles semblent leur emprunter leur ramage dans toute son étendue : n'y manque même pas la lueur sous-jacente de la nacre. Ainsi s'affirme d'emblée l'unité rythmique des œuvres ici considérées. Elles s'en trouvent, tout au long de la côte, un répondant organique.
Aimer, d'abord. Il sera toujours temps, ensuite, de s'interroger sur ce qu'on aime jusqu'à n'en vouloir plus rien ignorer. Avant comme après cette enquête, c'est la résonance intime qui compte : sans elle au départ on est presque irrémédiablement démuni et rien de ce qu'on aura pu apprendre n'y pourra suppléer si, chemin faisant, elle est perdue. C'est là l'évidence que viennent renforcer tous les jours tant « d'explications de texte » s'entêtant à vouloir réduire les « obscurités » d'un poème alors que ce qui importe avant tout est que, sur le plan affectif, le contact s'établisse spontanément et que le courant passe, soulevant celui qui le reçoit au point de ne lui faire nul obstacle de ces obscurités mêmes. De même qu'une œuvre plastique, quelle qu'elle soit, ne saurait avoir pour nous d'intérêt vital qu'autant qu'elle nous séduit ou nous subjugue bien avant que nous n'ayons élucidé le processus de son élaboration. Il en va tout spécialement ainsi de l'œuvre de ce que nous appelons - non sans gauchissement quand il vit de nos jours - un « primitif », soit, par définition, un être gouverné par des affects beaucoup plus élémentaires que les nôtres. Rien de moins propice à son appréhension en profondeur que de devoir en passer par le regard trop souvent glacé de l'ethnographe qui croirait, sinon déchoir, du moins faillir à ses disciplines s'il se portait vers elle avec quelque ardeur ou même s'il se montrait, tant pour les autres que pour lui-même, moins rebelle à l'émotion. On n'y insistera jamais trop : il n'y a que le seuil émotionnel qui puisse donner accès à la voie royale ; les chemins de la connaissance, autrement, n'y mènent jamais.
On sait avec quel rengorgement tels spécialistes des « sciences de l'homme » se prévalent de leur séjour sur le terrain, eût-il été des moins périlleux et des plus brefs et que dans leur bouche cette locution ne prend pas moins de solennité que dans celle des duellistes. Que cette particularité trahisse, à la base, tout le contraire d'une communication profonde avec tel groupe ethnique sur lequel ils jettent, sans véritable option, leur dévolu, n'est, dans ces conditions, que trop probable.
Notre chance est qu'il en aille tout autrement avec Karel Kupka qui, lui, est mû par l'attraction passionnelle et n'éprouve nul besoin de s'en cacher. L'Australie est, d'ailleurs, poétiquement aimantée. Il y a longtemps que la curiosité enfantine se repaît de la spécificité de sa faune mammiférienne - marsupiaux et monotrèmes - faite entre toutes pour accréditer l'idée ou l'illusion d'un monde perdu. Savoir qu'elle abrite, dans sa partie septentrionale, des ensembles humains assez homogènes dont l'horloge « retarde » de plusieurs millénaires sur nous est fait électivement pour inciter à y aller voir de près. Mais autre chose que de voir est de tenir ensuite à ce qu'on a vu par toutes ses fibres : c'est alors le « Je pars pour les Marquises. Enfin ! » de Paul Gauguin comme c'est ce qui, à plusieurs reprises, a ramené et ramènera Karel Kupka chez les Aborigènes d'Australie.
L'y ramener ? D'où vient donc qu'il ne s'y soit pas fixé pour toujours ? Est-ce à dire qu'atteint un tel « monde perdu », ne l'épargne pas la nostalgie de ce monde le nôtre dont - eu égard aux effluves qui le traversent depuis le 6 août 1945 - nous mine l'idée qu'il est en perdition, remué par l'horreur de l'échéance d'un instant à l'autre ? Non pas. Karel Kupka garde, dans ce crépuscule, le sentiment qu'il se doit de soustraire à leur anéantissement sur place, du fait des intempéries, les produits de sa quête. Il estime, à juste titre, que, de ce côté de la terre, un tel document vivant peut être encore - si tard qu'il soit - du plus grand prix, dans la mesure où, nous dénudant les racines de l'art plastique, il ébauche en nous une certaine réconciliation de l'homme avec la nature et avec lui-même.
Et, tout d'abord, quelle leçon ! La fin que poursuit l'artiste australien n'est en rien l'œuvre achevée telle que nous pouvons la cerner dans ses limites spatiales (il l'abandonne sans se soucier aucunement de sa préservation) mais bien, en tout et pour tout, la démarche qui y aboutit. « Ce n'est que le fait de peindre, nous dit Kupka, l'acte même de la création qui compte pour eux ». Que certaines de ces peintures soient « uniquement produites pour le plaisir de l'effort créateur1 » ne saurait faire oublier qu'elles témoignent du même principe générateur que les autres, initiatiques, qui, sous le sceau du secret, propagent les mythes propres à la tribu. Il est flagrant que celles-ci et celles-là procèdent du même esprit, comme elles sortent des mêmes mains. Claude Lévi-Strauss, se référant à Lloyd Warner, qui a étudié les Australiens septentrionaux, considère que chez eux, « le système mythique et les représentations qu'il met en œuvre servent à établir des rapports d'homologie entre les conditions naturelles et les conditions sociales, ou, plus exactement, à définir une loi d'équivalence entre des contrastes significatifs qui se situent sur plusieurs plans : géographique, météorologique, zoologique, botanique, technique, économique, social, rituel, religieux et philosophique. 2 » D'où l'immense intérêt de remonter à ce qui peut être le pivot d'un tel éventail, de saisir comment, selon encore Lévi-Strauss, « le système des représentations totémiques permet d'unifier des champs sémantiques hétérogènes ». C'est à quoi nous convie Karel Kupka, en nous faisant assister à l'essor de ces œuvres qu'il suit des yeux pour nous, à partir de l'instant nodal où elles prennent naissance. Un intense projecteur demandait à être braqué sur la trame initiale presque indifférenciée dont l'artiste seul décidera qu'elle va servir à exprimer, par exemple, le miel sauvage, la masse des algues ou le feu. Nous sommes là aux sources de la représentation conceptuelle, dont notre époque commence à voir qu'elle frappe de dérision la représentation perceptive. L'Aborigène, qui s'y tient, fait montre sur le plan plastique d'une quasi-infaillibilité.
L'« Alcheringa », le temps des rêves, qui est aussi celui de toutes les métamorphoses… ces lames d'eucalyptus saupoudrées de pollen qui en proviennent sont celles qui nous y ramènent le mieux. Aussi discrètes que les esprits « Mimis » de la mythologie australienne qui, à la moindre alerte, soufflent sur une fente de rocher pour l'agrandir jusqu'à ce qu'elle leur livre passage, elles tablent sur l'éphémère et opèrent par enchantement.
Que l'homme, aujourd'hui en peine de se survivre, mesure là ses pouvoirs perdus ; que celui qui, dans l'aliénation générale, résiste à sa propre aliénation, « recule sur lui-même comme le boomerang d'Australie, dans la deuxième période de son trajet 3 ».
Notes
1. Charles Mountford, Australie, Editions Unesco de l'art mondial, 1954
2. Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon éditeur, 1962
3. Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Chant sixième
André Breton
In Karel Kupka (préface de André Breton), Peintures et sculptures des Aborigènes d'Australie - Un art à l'état brut, La Guilde du Livre, Lausanne, 1962, pages 9-12. [site Atelier André Breton, 2005]
Notes bibliographiques | Lausanne, Éditions Clairefontaine, 1962. In-4°, couverture toilée de l'édition, jaquette illustrée. |
Date d'édition | 1962 |
Édition | édition originale |
Langues | français |
Bibliothèque | |
Dimensions | 24,00 cm |
Nombre de pages | 195 |
Éditeur | Clairefontaine, Paris & Lausanne |
Référence | 9063000 |
Vente Breton 2003 | Lot 223 |
Mots-clés | lettre, objet cérémoniel, Océanie, peinture, sculpture |
Catégories | Catalogues, livres sur l'art, livres d'artistes |
Lien permanent | https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600100393691 |
Lettre de Benjamin Péret à André Breton, datée de Rio, le 19 janvier 1956 et encartée dans Un art à l'état brut, de Karel Kupka.
Une image, une notice descriptive, une bibliothèque.
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Manuscrits signés d'André Breton, datés du 5-10 octobre 1962
Trois images, une notice descriptive, une bibliographie.