Rêve
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Manuscrit d'un texte de Marcel Noll transcrit par André Breton, non daté, paru dans La Révolution surréaliste du 15 juin 1926.
Deux images, une notice descriptive, des liens, une bibliographie.
Auteur Marcel NollPersonne citée Marcel NollAutre André Breton
Manuscrit de la main de Breton copié d'un récit de rêve de Marcel Noll, paru dans le numéro 7 de La Révolution surréaliste, circa juin 1926.
Ces récits de rêve, La Révolution surréaliste en a publié beaucoup, à telle enseigne qu'ils finissent par constituer une sorte de genre littéraire surréaliste, de la même façon que l'automatisme est la technique par excellence. Celui-ci, paru dans le septième numéro de la revue et signé de Marcel Noll (Breton, ici, s'est contenté de recopier), est remarquable par les thèmes qu'il fait apparaître, thèmes qui portent la marque de la culture communiste: Odessa, la révolution, sont au centre des pensées - voire de l'imaginaire, si c'est vraiment un rêve qui est ici raconté.
Manuscrit autographe 4 pages in-4
Manuscrit de la main de André Breton de deux récits de rêve de Marcel Noll. « C'est la révolution. Le matin de ce jour, Sade était conduit en prison par un détachement de chevaux-légers. Le roi (dont je suis un des conseillers), sa suite et la majeur partie du peuple qui lui est restée fidèle, habitent un ensemble de vieilles maisons qui, entouré d'un haut mur et protégées de tourelles, composent la résidence royale. Sans l'avoir vue encore je sais que je dois aimer la fille du roi, Augustina, qui admire et estime hautement le marquis de Sade qu'elle a vainement protégé contre les poursuites de son père. » Le manuscrit est signé Marcel Noll de la main de Breton. Publié dans le n°7 de La Révolution Surréaliste. [Site Atelier André Breton 2005]
« Vous savez, Bataille (je comprends : Sade), ne se doutait pas que Justine… » Je n’écoute pas la fin de la phrase, très frappé de l’analogie qui semble exister entre le nom de Justine que la jeune fille vient de prononcer et son propre nom.
À ce moment, le roi réapparaît, et toute son attitude indique qu’il a pris une résolution à l’égard de sa fille et au mien. Avant même qu’il ait prononcé un mot, Augustina jette un cri et s’élance au dehors. Je cours à la fenêtre et la vois s’engager à une allure folle sur la grande route. Elle a bientôt disparu à l’horizon
ès lors, une grande tristesse m’ayant envahi, je ne prends plus aucune part d’intérêt à ce qui se passe autour de moi. J’apprends encore que le roi est détrôné, sa suite et tous ses fidèles chassés de la résidence. La tête baissée, debout, je sais que défilent devant moi tous mes ennemis. C’est un cortège long et lent que je suis plutôt tenté de prendre pour un hommage rendu à ma tristesse que pour le départ d’un peuple vaincu. Indifférent, je sais qu’ils sortent, hommes et femmes, par une porte basse. De temps à autre, une main de femme se tend vers moi. Sans me préoccuper autrement de cette femme, sans même regarder son visage, je baise cette main…
Je suis assis, seul, dans la salle du trône. Je ne pense plus à la victoire remportée, mais seulement au projet de me mettre à la recherche d’Augustina. Puis, la nuit s’épaississant, je ne me rends plus compte que du décor qui m’entoure, et de moi-même, la tête dans mes mains ouvertes, seul.
II
C’est à Odessa, pendant la révolution, un soir. Le crépuscule plutôt, car une faible clarté de fin de jour parvient à pénétrer par endroits dans la salle de spectacle où je me trouve, assis dans un fauteuil d’orchestre, à attendre la deuxième partie d’un spectacle organisé par les nouveaux dirigeants du pays. Le rideau se lève bientôt sur une clairière de forêt lorsque par une porte à ma gauche entre une jeune femme, très belle, tout habillée de bleu ; d’un bleu-ciel très clair, très lumineux, et qui inonde aussitôt la salle d’une étrange clarté. Je pense que voilà la couleur qui tue les scrupules de l’homme. La jeune femme que je sais être l’étoile de la troupe José Padilla traverse la salle à pas lents, se dirigeant vers une loge où est assis un homme seul qui lui fait signe de s’approcher. Elle le rejoint et ils se parlent, lui souriant, elle gravement. Au moment où ma conscience est touchée par cette gravité qu’exprime toute l’allure de la jeune femme et son visage, je fais de vains efforts pour me rappeler en quelles circonstances j’ai pu autrefois, la rencontrer. Tout ce que j’obtiens, c’est que je ne lui ai jamais connu cette couleur. Après avoir en souriant furtivement, serré la main de son interlocuteur, elle monte sur la scène par un petit escalier à droite de l’orchestre. Au moment où elle est arrivée au milieu de la clairière, au moment où elle va parler, je remarque que sa couleur, son rayonnement n’a aucun pouvoir sur le vert qui règne sur la scène. Et elle parle, et à mesure que se prolonge son discours, sa robe pâlit, pâlit, et je pense que ce n’est plus qu’un vêtement comme en portent les autres femmes, un vêtement blanc, d’un blanc ordinaire, un blanc de première communion, pas même un blanc de rose. Elle parle en termes conventionnels de la pièce qu’ils " viennent d’avoir l’honneur de présenter devant nous ", et de son auteur qu’on devine caché dans la forêt qui s’étend à perte de vue derrière la jeune femme ; c’est en tremblant qu’elle prononce son nom : FANTOMAS ! Puis elle fait allusion à elle-même, répondant à des questions qu’elle devine posées par des spectateurs. Sa voix devient grave – je pense que sa conscience atteint et embrasse tout à coup la plus entière, la plus terrible vision d’elle-même, – son sourire de scène devient un rire désespéré lorsqu’elle dit en faisant du bras un geste lent et bas : " Je suis née un peu partout dans le monde. " J’ai à cet instant, la vision très nette d’une carte planisphère : les Balkans, où je distingue un fourmillement de choses informes, où je sens des forces obscures se mouvoir ; et l’Asie, toute blanche et comme rayonnante, avec l’ombre de ses hauteurs et l’argent de ses fleuves. Sur le point de me réjouir d’un espoir soudain, d’une espèce de promesse qui vient de m’être faite, d’un gage qu’on vient de m’assurer, la jeune femme semble prête à s’évanouir sous le coup d’un grand effort qu’elle vient apparemment de fournir. À la vue de sa détresse, je suis aussitôt distrait par l’idée de son sacrifice.
Je descends un très long escalier qui conduit dans un couloir long et sombre au bout duquel se trouve une cour faiblement éclairée par la lune d’une nuit agonisante. Je pense à la nouvelle journée qu’il va falloir vivre, je pense un peu au sang répandu (mal répandu) partout et je me sens infiniment attristé lorsque je constate que tous les scrupules, toutes ces faiblesses me sont en somme restés qui rendent si décevants mes rapports avec les hommes et les événements. À ce moment, j’aperçois la jeune femme de la veille, se dirigeant vers la cour. J’arrive à l’atteindre et la trouve toujours aussi grave, aussi essentiellement silencieuse. Elle me tend une main que je serre ; et durant les quelques instants où nous allons côte à côte vers la cour qui recule à mesure que nous pensons l’atteindre, je songe au heurt douloureux et angoissant de nos deux pensées. Je sens tout l’irrémédiable de notre union, sans comprendre, et pourtant avec la force d’un espoir que je sais être toujours le même. Je devine que sous d’autres latitudes nous aurions peut-être, tous les deux, préféré l’indifférence…
Au moment où la jeune femme fait mine de m’enlacer, je suis éveillé pour des causes étrangères au rêve.
Date de création | 06/1926 |
Langues | français |
Notes | Ms - encre bleue - Manuscrit autographe 4 pages in-4 |
Nombre de pages | 2 |
Référence | 363000 |
Vente Breton 2003 | Lot 1130 |
Mots-clés | revue "la révolution surréaliste" |
Catégories | Manuscrits, Manuscrits des membres du groupe |
Série | [Revue] La Révolution surréaliste |
Lien permanent | https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600100364360 |